L'article
Chez soi, ce n'est pas seulement là où on dort
22.11.18 - Une odeur, un peu de terre, des souvenirs; Le «chez soi» ne se limite pas à un pays, surtout pour les migrants loin de leur patrie. Le regard d'Yves Daccord, directeur général du CICR.
Les quelque 260 millions de migrants de la planète ont tous des racines faites de connexions familiales humaines qui ont été nourries par les expériences vécues sur place. «Ces ancrages-là, quand on ne peut pas y revenir, parce que tout a été détruit, parce que la mort menace, on ne peut y repenser que douloureusement», souligne Yves Daccord, directeur général du Comité International de la Croix-Rouge (CICR). «En fait, tant que la personne n'est pas arrivée quelque part où elle est autorisée à s'installer, elle a un “chez soi” de survie», estime-t-il. Or les migrants restent en moyenne dix-sept ans dans un camp, sans pouvoir se projeter dans l'avenir.
Wi-fi salvateur
Alors ce «chez eux» provisoire, il est fait de quoi? Il tient souvent à quelques objets. Un peu de leur terre natale dans un sachet en plastique, une cafetière dont ils tirent un breuvage aux relents de «là-bas», une broderie, un bijou, quelques photos. Et à côté de ces objets conservés comme des reliques, il y a les réseaux sociaux aujourd'hui qui les gardent en lien avec l'endroit qu'ils ont fui, et où réside encore un parent ou un ami.
«Dans des situations extrêmes en Syrie, où les habitants ont connu des blocus sévères, quand on leur demande quels sont leurs besoins, ils répondent invariablement: du wi-fi! Pour être reliés à leurs proches, à ceux que la guerre a fait partir souvent en catastrophe», indique Yves Daccord. Les réseaux sociaux sont de fait devenus des vecteurs essentiels de liens et de sentiments d'appartenance.
De l'espace pour recevoir l'autre
A l'approche des fêtes de fin d'année, cette notion de lien est d'autant plus forte. Au niveau spirituel, les fêtes religieuses et communautaires des migrants revêtent des caractères essentiels, comme Noël pour les chrétiens. Le rite traduit qui l'on est, même si les festivités sont aussi l'occasion de se souvenir de celles et ceux qui ne sont pas là.
Et à parler de valeurs, les rencontres d'authenticité avec autrui deviennent fondamentales, relève le directeur général. «Il faut ainsi savoir, pour un délégué, créer des espaces pour recevoir l'autre», estime-t-il. «C'est parfois très délicat.» Il se souvient de ce papa syrien accueilli au Canada qui s'est exprimé avec des mots tout simples devant le Premier ministre Justin Trudeau: «J'ai quitté mon pays, c'est tellement dur. Mais la façon dont je suis reçu ici, la façon dont les gens me regardent et me donnent un espace me permettent de me sentir chez moi dans votre pays.» Yves Daccord souligne avoir été particulièrement touché par cette histoire, qui signifie que l'on peut ouvrir des «chez soi» et mettre un nom sur un visage plutôt qu'un numéro sur un dossier.
Malheureusement, les politiques migratoires ne permettent plus cette expérience pour un nombre toujours grandissant de migrants. A ce propos, le directeur croit que plus une société essaie de maintenir l'autre à l'écart, plus elle se referme sur elle-même, avec le risque que plus personne à terme ne se sente responsable du lien commun. «Il y a là un véritable enjeu: quand un groupe estime que l'autre doit rester chez lui, il peut aussi décider un jour que l'autre, c'est le pauvre; ou la femme.»
Gabrielle Desarzens
Wi-fi salvateur
Alors ce «chez eux» provisoire, il est fait de quoi? Il tient souvent à quelques objets. Un peu de leur terre natale dans un sachet en plastique, une cafetière dont ils tirent un breuvage aux relents de «là-bas», une broderie, un bijou, quelques photos. Et à côté de ces objets conservés comme des reliques, il y a les réseaux sociaux aujourd'hui qui les gardent en lien avec l'endroit qu'ils ont fui, et où réside encore un parent ou un ami.
«Dans des situations extrêmes en Syrie, où les habitants ont connu des blocus sévères, quand on leur demande quels sont leurs besoins, ils répondent invariablement: du wi-fi! Pour être reliés à leurs proches, à ceux que la guerre a fait partir souvent en catastrophe», indique Yves Daccord. Les réseaux sociaux sont de fait devenus des vecteurs essentiels de liens et de sentiments d'appartenance.
De l'espace pour recevoir l'autre
A l'approche des fêtes de fin d'année, cette notion de lien est d'autant plus forte. Au niveau spirituel, les fêtes religieuses et communautaires des migrants revêtent des caractères essentiels, comme Noël pour les chrétiens. Le rite traduit qui l'on est, même si les festivités sont aussi l'occasion de se souvenir de celles et ceux qui ne sont pas là.
Et à parler de valeurs, les rencontres d'authenticité avec autrui deviennent fondamentales, relève le directeur général. «Il faut ainsi savoir, pour un délégué, créer des espaces pour recevoir l'autre», estime-t-il. «C'est parfois très délicat.» Il se souvient de ce papa syrien accueilli au Canada qui s'est exprimé avec des mots tout simples devant le Premier ministre Justin Trudeau: «J'ai quitté mon pays, c'est tellement dur. Mais la façon dont je suis reçu ici, la façon dont les gens me regardent et me donnent un espace me permettent de me sentir chez moi dans votre pays.» Yves Daccord souligne avoir été particulièrement touché par cette histoire, qui signifie que l'on peut ouvrir des «chez soi» et mettre un nom sur un visage plutôt qu'un numéro sur un dossier.
Malheureusement, les politiques migratoires ne permettent plus cette expérience pour un nombre toujours grandissant de migrants. A ce propos, le directeur croit que plus une société essaie de maintenir l'autre à l'écart, plus elle se referme sur elle-même, avec le risque que plus personne à terme ne se sente responsable du lien commun. «Il y a là un véritable enjeu: quand un groupe estime que l'autre doit rester chez lui, il peut aussi décider un jour que l'autre, c'est le pauvre; ou la femme.»
Gabrielle Desarzens
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Illustration/Photo: © iStockphotoEn savoir plus
Face-à-face essentiel
Où donc l'expatrié se sent-il chez lui? Avant d'être directeur général du CICR, Yves Daccord, marié, trois enfants, a notamment été délégué en Israël et dans les territoires occupés; au Soudan, au Yémen, en Tchétchénie et en Géorgie. «Quand j'étais sur le terrain, mon “chez moi” restait Genève», explique-t-il. «J'en recréais naturellement un où j'étais en mission. Et je lisais énormément, notamment des journaux comme L'Equipe (ndlr: journal sportif français).» Une façon d'amener le monde chez soi.Aujourd'hui, internet permet à chacun de garder des relations importantes avec sa famille et ses amis. «Mais chaque délégué doit surtout soigner le lien avec les personnes sur place. Le face-à-face avec les enfants, les femmes et les hommes que l'on sert est essentiel.»